Les Mordus de la Pomme

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La fabrication traditionelle du cidre à Saint-Pierre-de-Plesguen

jeudi 21 janvier 2010

La Bretagne, au début du 2Oème siècle, était la première région cidricole de France et le cru de Saint Pierre-de-Plesguen et de ses environs était réputé. Nombreux étaient les agriculteurs qui vendaient leur cidre dans les cafés de Saint Malo.

Ils partaient au petit matin, le tonneau de 3 à 4 barriques sur la charrette. En cours de route, pour se désaltérer, il ne fallait pas trop tirer au « fausset » (nom donné à la petite bonde percée au milieu du « maître-fond », planche sans nœud placée au milieu du tonneau ; le fausset permet d’avoir un petit jet de cidre pour le faire goûter aux différents acheteurs).

Pendant le transport, pour laisser échapper les gaz contenus dans le cidre, il ne fallait pas oublier de placer quelques pailles à travers la douvelle, près de la bonde. A Saint Pierre-de-Plesguen, tous les anciens se souviennent de la « Tentation d’Eve », le cidre de M. SIMONET, vendue et appréciée jusqu’à Paris. Les pommes de Saint Pierre étaient très recherchées. Certains agriculteurs du nord de Rennes préféraient vendre toute leur production de pommes à cidre aux négociants et en racheter sur Saint Pierre pour leur propre consommation. Ils trouvaient que le cidre d’ici était meilleur, plus alcoolisé et qu’il avait plus de corps.

Mais réussir un bon cidre est un art très délicat qui ne s’improvise pas. Il commence par le choix de l’emplacement du verger, celui des variétés de pommes, ou pommage, puis vient la manière de ramasser les pommes, de les laisser mûrir, de les presser, d’en faire fermenter le moût ou jus, mais surtout d’avoir un bon cellier. Tout un « savoir-faire » transmis de génération en génération, que chaque cidriculteur améliore. Faire du bon cidre restera toujours une opération délicate et dont on n’est jamais sûr du résultat.

Emplacement du verger

Au cours des cinquante premières années du 20ème siècle, les pommes et le cidre se vendaient bien. On a planté partout des pommiers, tant à Saint Pierre qu’à Pleugueneuc. Cependant, l’emplacement le plus favorable, là où les fruits seront les plus goûtés et donneront le meilleur cidre, sont les terres issues de la dégradation du granite : les sols de « sable de terre », de « grou » ou de « péré ». Ces terres sont bien drainantes le pommier n’aime pas les terres humides. Sur ces dernières, on y plantait plutôt des poiriers à poiré. Le poiré, ou cidre de poires, était souvent réservé pour la « bouillotte », l’alambic ambulant qui distillait le cidre pour en extraire l’eau-de-vie. Le poiré donnait une « goutte » très appréciée des connaisseurs.

Le pommage

Le pommage, c’est le mélange des diverses variétés de pommes utilisées par l’agriculteur en vue de la fabrication du cidre. Le pommage, c’est aussi l’ensemble des variétés produites dans un secteur (une ferme ou une région) dans ce cas le mot pommage recouvre celui de « cru ». Le pommage de Saint Pierre était réputé jusqu’à Rennes.

Du bon choix des variétés dépend la qualité du cidre. Les agriculteurs ont pris soin, au cours des années, d’améliorer leurs variétés afin qu’elles soient mieux adaptées au milieu, à leurs besoins, et de qualité toujours meilleure. Il arrivait parfois que parmi les pommiers qu’ils élevaient dans un coin de leur courtil pour remplacer ceux qui disparaissaient dans les champs (ce qui était d’ailleurs spécifié dans les baux), un pied produisait des fruits intéressants. Celui-ci était multiplié et prenait le nom de son inventeur. Ce fut le cas de la pomme « Jean Petibon » trouvée à la fin du XIXème siècle à Calorguen Saint André-des-Eaux , de la « Charles Pitrel » (pomme à deux fins, bien connue dans la région et qui donne un cidre très fin qui se conserve très bien). C’est aussi le cas du « Julien Blanchard », du « Doux hâtif Simonet », deux variétés de Saint-Pierre qui semblent, hélas, avoir disparu (un appel est d’ ailleurs lancé à toute personne possédant l’une de ces deux variétés de bien vouloir le signaler, soit à la mairie de St Pierre, soit à l’association des Mordus de la Pomme à Quévert).

Ces pommiers étaient issus des pépins qui avaient levé sur le marc, pendant l’hiver.

Parfois, en prévision de plantations importantes, l’agriculteur achetait une botte de 50 ou 100 petits pommiers provenant de semis d’un ou deux ans, sur le marché de Combourg ou lors de la « foire du Liège » à Dinan (ils y étaient vendus dans la rue qui sépare les deux places du Champ et Du Guesclin). Ces pommiers étaient appelés des « entons », du vieux verbe français « enter » qui signifie greffer. L’un de ces « entons » a pu porter des fruits, des pommes meilleures que celles d’origine ce fut le cas du « Gros d’Enton », qui multiplié, fut cultivé dans toutes les communes autour de la Forêt de Coëtquen, aussi bien en Ille-et-Vilaine que dans les Côtes d’Armor. Il existe aussi d’autres pommes qui ont gardé ce vieux mot « enter », telle la « Double bonnente », très belle et grosse pomme à couteau, à consommer avant Noël et cultivée au nord de Rennes.

La sélection se faisait aussi au cours de visites chez des parents, des amis. Après avoir goûté les pommes, l’agriculteur revenait, le lundi de Pâques, chercher des greffons des variétés susceptibles d’améliorer son pommage. Parfois, le nom de la variété se perdait et l’agriculteur reprenait celui du fournisseur de greffons. Exemple : la « pomme à Baptiste »...

Traditionnellement, le cru de Saint Pierre-de-Plesguen et de Pleugueneuc est à base de pommes douce amères. Elles entrent pour 40 à 45 % dans le pommage ; viennent ensuite les douces et les amères, pour 20 à 30 % chacune et 5 à 10 % de pommes acides ou acidulées.

Les pommes aigres, sont rudes au palais, riches en acide malique. Elles permettent de mieux conserver le cidre, de le protéger contre les bactéries, de stabiliser sa couleur et de lui apporter la fraîcheur. Un cidre pauvre en acide sera un cidre plat. Beaucoup d’anciens n’en voulaient pas dans leur pommage, tout juste s’ils en acceptaient quelques « mannées » (contenu d’une manne, encore appelée « cage », grand panier d’osier plus haut que large servant à la récolte des pommes de terre et des pommes faite en fil d’acier maintenant, elle était auparavant tressée avec de l’osier, de la bourdaine, par l’agriculteur au cours des soirées d’hiver). Toutefois, dans d’autres régions, comme dans le bassin de Rennes, les pommes aigres, acides ou acidulées, y entrent pour 20 à 30 % du mélange (les variétés les plus courantes étaient le « Rouget de Dol », le « Gros d’Enton », le « Charles Pitré » ; les plus beaux fruits étaient cueillis et conservés dans le grenier, sur le grain, pour la consommation hivernale, les autres se retrouvaient mélangés aux pommes à cidre).

Dans la région, les variétés amères ne sont pas majoritaires dans le pommage, à l’inverse de la Cornouaille. On dit qu’elles donnent du « corps » au cidre. Elles apportent les tanins indispensables pour bien clarifier les moûts. Les tanins ont de plus, un grand pouvoir antiseptique. Quelques variétés cultivées à Saint Pierre « Cœur de bœuf », « Vilbéry », très tardif à piler en février, « Jeanne Renard » et « Coëtquentel », deux variétés de Pleudihen.

Les pommes douces ont très peu de tanin ; on recherche ainsi celles qui sont riches en sucre pour augmenter la teneur en alcool de cidre. Trop de pommes douces donnent un cidre qui se conserve mal et peut devenir filant. C’est ce qui est reproché à la variété « Durée », très cultivée à Saint Pierre durant la première moitié du XXème siècle. Les fruits lourds se vendaient bien aux négociants mais ils donnaient un cidre blanc, fade, peu alcoolisé et qui se tuait vite « le cidre est plat », non pétillant, avec un goût oxydé » (d’après Pierre GAULARD).

Les douces amères sont des pommes bien équilibrées. Certaines peuvent donner du cidre, seules, sans addition d’autres variétés. Elles sont nombreuses dans le pommage de Saint Pierre : « Chaperonnas », « Chevalier », « Cul plat », « Gavet », » Massacre »…

La récolte

Les premières pommes tombées, les « châtunes », étaient « véries » (véreuses), ou immatures ; elles étaient mises à part. Suivant les années, elles étaient mélangées aux pommes primes (« Chaperonnas », « Doux Hâtif », « Simonet »...), pour confectionner un cidre à boire rapidement. Cela permettait d’effectuer la soudure entre le vieux cidre et le nouveau. S’il n’y avait pas de problème de soudure, le « petit cidre » était distillé, ou « brûlé » à la bouillotte, lieu de haute convivialité, pour obtenir la « goutte » généreusement utilisée aux moments importants de la journée. Les années de forte production, les « châtunes » étaient données aux cochons. « Châtunes », nom donné dans tout le nord du pays gallo pour les pommes les premières tombées ; elles sont appelées « échaudées » à Saint Piat, « ballades » à Bédée, « quetrons » à Bourgbarré... », « Châtains », « châtaines », « châtuns, châtunes », noms donnés par analogie avec les châtaignes qui se ramassent sous l’arbre, selon Yves CASTEL, de Lanvallay.

Les pommes sont récoltées sèches, propres, saines, les fruits abîmés sont mis à part. En général, il faut effectuer un passage toutes les semaines pour éviter aux fruits un contact trop prolongé avec le sol, ce qui accélère le mûrissement, peut développer moisissures et pourrissement et abîmer les pommes, surtout les primes. La « Pomme de Lanvallay » restée trop longtemps à terre donne un cidre qui peut devenir huileux.

Tout le monde participe à la récolte homme, femme et surtout les enfants. Les grosses pommes sont plus intéressantes à « serrer » (ramasser) ; les petites, comme le « Petit Chevalier de Saint-Pierre », il faut beaucoup « menotter » pour remplir les mannes ou « cages ». Certaines variétés, comme la « Hambou » de Saint André-des-Eaux, collent aux mains, elles sont riches en sucre et lors des années chaudes le fruit exsude du sucre sur son épiderme.

D’autres variétés sentent bon la pomme mûre ; d’autres encore, à cause de leur épiderme, tout « résillé » ou marbré de liège, comme « Cul crassoux » à Plouasne, retiennent la terre et sont toujours sales. D’autres, comme « Doux et vert » pèsent lourd et s’enfoncent dans les sols mous et détrempés de l’automne. Bien qu’elles soient plus difficiles à ramasser, ces pommes lourdes sont recherchées, car plus intéressantes à la vente !

Ce ramassage à la main permet un triage des fruits par qualité et variété. Il permet également d’éliminer les fruits abîmés, les feuilles, les brindilles...

Pour que les pommes acquièrent toutes leurs qualités et pour obtenir un bon produit, il faut attendre la chute naturelle des fruits et surtout, ne pas les gauler (les abattre, les haubler, les gaouler...) avant leur pleine maturité. Les pommes immatures donnent un jus qui fermente mal. Certaines variétés tombent toutes seules au bout de quelques jours, alors que d’autres mettent plusieurs semaines le « Petit Chevalier de Saint Pierre » a encore des fruits accrochés aux branches à Noël...

Début novembre, avant les gelées, lors du dernier passage, un gamin grimpe dans l’arbre pour en secouer les branches. Le secouage est préférable au gaulage qui casse les brindilles et les futurs boutons à fleurs. Cependant, certains pommiers sont tellement branchus qu’il est difficile de pénétrer dans la ramure (exemple « Petit Chevalier de St Pierre »). Même le gaulage est difficile dans ces arbres.

Les années de fortes productions, comme en 1999, il faut soutenir les branches lourdement chargées pour éviter qu’elles ne se cassent, ou même que les branches maîtresses « n’échalent » (se déchirent). On utilise alors des « appouyettes » (une forte perche de châtaignier terminée en forme de fourche). Une dizaine de ces « appouyettes » pouvaient parfois être posées autour du pommier qui ressemblait à une grosse araignée lors des journées brumeuses d’octobre. Certaines variétés, comme « Massacre » (très cultivée tout autour de la forêt de Coëtquen), doivent être régulièrement soutenues les branches cassent très facilement, d’où son nom de. . . massacre !

Le stockage

Les fruits sont stockés par variété et par période de maturité pour mieux doser les mélanges, soit sur un plancher en bois soit sur une litière de paille ou de fougères. Le tas n’excède pas 60 centimètres de hauteur pour qu’il n’échauffe pas et pour éviter la formation de moisissures. Dans les bonnes fermes, le stockage s’effectue à l’abri, sous un hangar. Le lavage continuel des fruits par la pluie provoque une perte de sucre.

Si de fortes gelées sont à prévoir, les pommes sont protégées par de la paille ou de la fougère. Elles doivent être aussi protégées des poules, des canards, de toute la basse-cour, qui viennent les picorer et les souiller de leurs déjections. A propos, il est faux de dire que la fermentation purifie tout.

Lorsque le stockage est effectué dans un local fermé, celui-ci doit être aéré et bien ventilé pour que l’éthylène dégagé par les pommes ne s’accumule pas (il y aurait une accélération de la maturation) et qu’il n’y ait pas de condensation. Lors de la visite d’amis ou de voisins, l’agriculteur est fier de montrer la richesse de sa ferme et ne saurait oublier son tas de pommes, promesse qu’il y aura à boire un bon cidre toute l’année. Afin de rendre l’entassement des fruits plus agréable à l’œil, il le « fleurissait » en le recouvrant, de préférence, avec des pommes rouges brillantes « Rouge et doux », « Jeanne Renard »... La « Rouge et doux » est une des variétés chipées par les gamins en revenant de l’école.

Pendant cette période, les pommes finissent de mûrir et acquièrent leur maturité optimale pour le brassage. Le parfum de pomme mûre emplissait la cour et pénétrait dans les bâtiments.

Le brassage

1- Préparation du matériel

Avant de brasser, tous les ustensiles, dont le pressoir, sont nettoyés et mis à tremper pour que le bois gonfle et empêche les fuites. Le lavage s’effectue à l’eau chaude et avec de la cendre de bois, on termine par un rinçage à l’eau claire. Les fûts, ou les tonneaux, sont placés sur le « poulain » formant glissière, constitué de deux forts madriers reliés par deux ou trois traverses, selon son importance. Les fûts y sont « bacillés », c’est-à-dire balancés et remués en cadence. En dehors du lavage des fûts, le « poulain » est également utilisé au chargement de ces fûts dans les charrettes. Ce nettoyage est utilement complété par un « méchage » on brûle une mèche de soufre, suspendue à l’intérieur du fût par la bonde. Les gaz détruisent tous les germes.

Dans le cellier, les fûts ne sont pas posés à même le sol de terre battue, ils s’abîmeraient. Ils reposent sur de fortes pièces de bois, appelées « chantiers », ou « tins ». Ils y sont maintenus par des cales.

C’est la période où, dans la campagne, résonne les coups sur le « chassoir » du tonnelier pour que le cercle de châtaignier qui entoure le fût glisse le long de celui-ci et resserre les « douvelles » ou « madelles » (planches de châtaignier ou de chêne qui ont été taillées et courbées pour former le fût).

Le tonnelier allait de ferme en ferme « relier » les tonneaux et effectuer les petites réparations comme « poser une renture », c’est-à-dire couper en sifflet l’extrémité d’une « douvelle » abîmée et y rapporter une pièce de la même grandeur.

2 - Le pressoir

Le pressoir traditionnel dans les fermes de Saint Pierre-de-Plesguen, de Pleugueneuc et des environs, est à vis fixe. Dans le bassin de Rennes, les exploitations, fortes productrices de cidre, étaient équipées de presse hydraulique. La pièce principale du pressoir est « la maie », table qui reçoit la pulpe des pommes écrasées (marc ou pommade). Elle est constituée de madriers en « cœur de chêne », serrés les uns contre les autres. Ils sont maintenus par 4 autres madriers, appelés « lacets », posés sur champ et placés sur les 4 côtés de la table. Les deux « joues » s’emboîtent dans les deux longerons. La « maie » doit être suffisamment solide pour supporter les fortes pressions au moment du serrage de la motte. Elle est en légère déclivité en direction de la goulotte pour un bon écoulement du jus.

La « maie » est posée sur une énorme poutre de chêne, plus ou moins bien équarrie, appelée le « guibre », ou tout simplement le « pied de chêne », le « chêne du pressoir ». C’est un arbre, orgueil d’un bois ou d’un talus de la ferme et qui en a gardé le nom. Cette poutre peut mesurer jusqu’à 0,60 mètre de section et sa longueur dépasse celle de la « maie » de 30 à 40 centimètres de chaque côté (2 à 3 mètres en moyenne). Dans certaines fermes, il y avait toujours un « guibre » à sécher en permanence, en attente d’utilisation.

Le « vire » (vis du pressoir) est implanté perpendiculairement au « guibre » et le traverse de part en part, ainsi que la « maie ». Il doit être parfaitement vertical pour ne pas travailler en porte à faux. Il est régulièrement graissé ou huilé. C’est le charron du village, à l’aide d’une tarière et guidée par un fil à plomb qui creusait le trou du vis dans le « guibre ». Il en faisait plusieurs et terminait à la gouge.

L’étanchéité de la table doit être également parfaite. On utilisait avant et parfois encore, comme à la « Fête de la Pomme » de Quévert, de la bouse de vache fraîche pour colmater tous les joints entre les madriers, autour du « vire ». La table est ensuite lavée à l’eau chaude, rincée et mise à tremper pendant une ou deux semaines, pour gonfler le bois. De nos jours, la table est souvent en ciment, le nettoyage doit être plus fin, les germes se logeant dans les micro-anfractuosités. Une fois le pressoir prêt, la « pilerie » pourra commencer lorsque les pommes seront bien mûres. Leur chair devient alors moins dure, sans être molle. Elle s’écrase facilement sous les doigts et laisse couler son jus. Les pommes sentent bon, elles embaument toute la ferme. L’épiderme des fruits a perdu sa couleur verte pour devenir jaune-orangé. Le fruit a atteint son maximum de sucre et de saveur. C’est à ce stade qu’on obtiendra le plus de jus et la qualité la meilleure. Il ne faut pas trop attendre, surtout pour certaines variétés comme « Tocfish », dont la chair devient vite farineuse et se délite au broyage. La « motte » ne tient pas et de la pulpe passe dans le jus, donnant beaucoup de lie.

Dès la fin du mois de septembre, début octobre, on brasse les premières pommes, les variétés primes (précoces) « Chaperonnais », « Doux hâtif », « Simonet », « Tocfish ». La « pilerie » se termine en février avec les variétés tardives « Bédange », « Vilbéry », « Charles Pitrel... » Ces dernières ont besoin d’être « nigeaulées » longtemps pour être bonnes à presser (« nigeaulées »= conservées un certain temps). C’était surtout les pommes de garde que l’on mettait à « nigeauler » sous la paille dans les greniers, de manière à pouvoir les conserver durant l’hiver. Elles donnent un cidre qui se conserve très bien, appelé « cidre de garde ». Il existait des variétés très primes comme le « Doux hâtif Simonet » d’après le cahier de Pierre GAULARD, il « mûrissait fin août et donnait un cidre coloré, parfumé et d’un bon goût ». Ces variétés permettaient d’effectuer la soudure entre le cidre de garde et le nouveau elles se pilaient dès le début du mois d’août. Elles ont malheureusement disparu et l’Association des Mordus de la Pomme les recherche pour les planter dans ses vergers conservatoires.

3 – Le lavage et le triage

Le moment de presser les premières pommes est arrivé. Avant de les passer au broyeur, elles sont triées et, au besoin, lavées à l’eau claire et renouvelée. Les pommes abîmées pendant le stockage sont éliminées, ainsi que tous corps étrangers tels que les feuilles. Les fruits moisis gênent la défécation (clarification) ils donnent un cidre faible en alcool et lui confèrent un mauvais goût.

4- Le broyage

Les fruits sont broyés, sans écraser les pépins, pour permettre un meilleur pressurage et obtenir le maximum de jus. Les tissus de la pomme doivent être finement déchirés pour qu’ils abandonnent facilement leur jus. Néanmoins, ils ne doivent pas être transformés en purée, ce qui risquerait de rendre aléatoire la tenue de la « motte » et d’apporter beaucoup de lie dans le moût (jus de pomme).

Le « tour à piler » est abandonné depuis longtemps, il reprend du service dans certaines fêtes folkloriques Le plus souvent, il est transformé en bac à fleurs pour décorer fermes et villages. Drôle de fin pour un instrument qui fut à la base d’une économie florissante pendant plus d’un siècle. Dans le tour à piler, les pommes sont écrasées par une roue en pierre qui, à l’origine, était en bois. Son avantage était qu’à aucun moment, la pomme ne se trouvait en contact avec des parties métalliques (à l’inverse du broyeur) qui peuvent provoquer le noircissement du cidre.

Au début, le broyeur (ou moulin) était entraîné par deux hommes robustes qui tournaient deux volants placés latéralement. Ils furent remplacés, plus tard, par un moteur électrique ou à essence. Les pommes broyées tombent dans une grande auge en bois appelée « maie ».

Lorsque les pommes sont trop grosses, elles sautent en dehors du moulin. Si elles sont trop molles ou trop mûres, il faut desserrer le broyeur pour ne pas les réduire en purée. Au contraire, si elles sont fermes ou dures, il faut le resserrer afin qu’elles soient bien écrasées. Triées par variété, il est plus facile de régler l’écartement du broyeur, en fonction de la dureté des pommes.

5- Le cuvage

La pulpe, appelée aussi « pommade », obtenue après broyage, est mise à macérer pendant six à dix heures dans une cuve en bois, souvent un vieux tonneau coupé en deux. Le cuvage ramollit les tissus et augmente donc le rendement en jus. Il améliore la couleur du cidre ainsi que sa clarification, en favorisant le passage des pectines solubles dans le moût.

Avec la presse mécanique, il n’y a pas de cuvage, sitôt broyée, la pulpe est pressée.

6- Le pressage, pressurage, serrage

La pulpe est mise sur la table du pressoir. Elle est disposée par couches de 10 à 15 centimètres d’épaisseur, séparées par de la paille de seigle, d’avoine ou de blé, battue à part pour qu’elle ne soit pas brisée. Depuis l’avènement des moissonneuses-batteuses, la paille est trop brisée pour pouvoir monter une « motte » qui se tienne, qui ne se sauve pas. Pour remplacer la paille, on peut utiliser les tiges de « molinie » (graminée qui pousse en tourillon dans les landes marécageuses), des branches de genêt ou, encore mieux, des toiles. Mais une paille bien séchée, aérée, convenablement travaillée, dégagera une odeur agréable elle contribuera au bon goût du cidre. Elle doit être peignée pour allonger, au maximum, les brins et supprimer les impuretés. Les pailles actuelles contiennent des résidus de pesticides, des bactéries, responsables de défauts du cidre ou de goûts particuliers. Certains agriculteurs préfèrent cultiver une petite parcelle de céréales pour obtenir une bonne paille.

La paille est disposée du centre vers l’extérieur. Elle permet un bon écoulement du jus. Il faut acquérir un tour de main pour bien la disposer en allongeant les brins. Un bon drainage de la « motte » permet un pressurage plus rapide. Les brins peuvent être arrêtés en bordure de la « motte », ou bien on peut les laisser dépasser et les replier sur la couche supérieure. Les quatre coins des toiles, lorsqu’on les utilise, sont repliés sur la couche suivante. Toile et paille consolident la « motte » et permettent qu’elle se tienne. Si la pulpe est trop fine, elle glisse sur la paille et la « motte chie ». Les toiles doivent être lavées régulièrement pour ne pas donner de mauvais goût au cidre.

Pour bien égaliser la pulpe en couche régulière, appelée « lit » ou encore « torche », le brasseur peut s’aider de la « carrée » quatre planchettes assemblées en carré, de la grandeur de la « motte ». La pulpe, ou « pommade », y est jetée et ainsi retenue. Elle est nivelée et légèrement tassée à l’aide d’une planchette. Sur les grands pressoirs, le brasseur utilise un petit rabot en bois, le « rouabe », pour étaler la pulpe jusqu’au « vire » (vis centrale du pressoir). Parfois, certains brasseurs préfèrent n’utiliser que deux petites planchettes, en équerre, appelées « l’oiseau » ou « bec d’oiseau ». Elles servent pour monter correctement les coins de la couche qui doivent être bien rembourrés. D’autres ne s’aident que d’une seule planchette, la « taloche ». On l’avance au fur et à mesure pour tasser convenablement les bords.

Monter la « motte », couche après couche, de façon parfaite pour qu’elle se tienne lors du pressurage, demande un savoir-faire que seul une longue expérience permet d’acquérir. Pour plus de facilité, à l’heure actuelle, on utilise des claies constituant une cage circulaire ou carrée. Dans la cage, paille et pulpe sont alternées, nécessitant moins de soins que pour la « motte » traditionnelle.

Sur le haut de la « motte », des planches sont posées pour former un plancher le plateau. Par-dessus, on y place les « bois de charge » ou « quétrain » deux assises de quatre madriers disposés perpendiculairement l’une par rapport à l’autre. L’assise inférieure repose sur le plancher, la supérieure est surmontée d’une grosse pièce de bois appelée « mouton ». Sur le « mouton » est boulonné le « crapaud » de l’écrou de serrage, pièce en acier coulissant librement autour du « vire ». Au-dessus, on trouve la couronne et l’écrou de serrage qui suit le filetage. A l’aide d’une barre de bois prise dans le collier de l’écrou, on agit par un jeu de clavettes sur la couronne et donc sur l’écrou qui serre la « motte ». La barre de bois est choisie dans une pièce de houx, tordu de façon que son extrémité reste à hauteur d’homme. Il y a deux barres, une petite pour le début du serrage et une plus longue pour la fin du pressurage. Elle permettait à deux, voire trois hommes, de « tirer sur le marc ». Le marc est le mélange de paille et de pulpe pressée.

Les « bois de charge » posés, le « mouton » en place, on laisse la « motte pisser son jus », s’égoutter naturellement, ce qui donne le « jus de goutte ». Cela permet aussi à la « motte » de bien « s’asseoir ».

Il est recommandé de « serrer le marc » progressivement et de façon intermittente pour laisser le temps au jus de s’évacuer. Un bon drainage permet d’aller plus vite. A la fin du pressurage, on laisse pendant un certain temps la « motte » s’égoutter (égouttage final). Après le pressage, on « mouche la motte », les bords sont découpés avec le couteau à marc (lequel, sous la Révolution, servit d’arme aux paysans bretons contre les « Bleus » c’est le « bêchage » ou « retaillage », ou « découpage ». Les découpes sont posées sur le dessus de la « motte » et forment un nouveau lit ; la « motte » est alors "repressurée".

Le jus s’écoule de la table du pressoir par une goulotte dans une cuve en bois, à demi enterrée et placée en bordure du pressoir. Un tamis de crin, appelé « sang », permet de retenir les impuretés. Avec des seaux ou avec une pompe, le jus est « entonné » (transvasé) dans les fûts.

7- Le Rémiage

Après l’égouttage final, le marc contient encore une quantité appréciable de jus. Pour l’extraire, ou épuiser le marc, on effectue un, voire deux "rémiages" La « motte » est défaite, le marc est émietté dans une cuve et arrosé avec de l’eau chaude. On utilise une faible quantité d’eau afin de ne pas trop diminuer la densité du cidre. On laisse tremper quelques heures, on remonte la « motte » et on pressure de nouveau. Le jus obtenu est mis à part et constitue le « petit cidre ».

La défécation (clarification)

Le moût mis dans le fût est trouble quelques jours plus tard, il se « met à travailler ». Une croûte brune, dure, plus ou moins épaisse, constituée par les impuretés, se forme en surface et déborde par la bonde, c’est le « chapeau brun ». Dans la partie inférieure du fût, un dépôt se constitue les lies. Les matières pectiques contenues dans le moût coagulent, elles entraînent les éléments en suspension et assurent un débourrage naturel. Le cidre se clarifie, on dit qu’il se « purifie » c’est le collage du moût. Un beau chapeau brun est l’indice d’une bonne défécation et donc d’un bon cidre. Par contre, si le chapeau est fendillé et laisse échapper une mousse blanche par les craquelures, le cidre « bout blanc » la défécation est manquée. Le « chapeau blanc » est souvent dû à un départ trop rapide de la fermentation alcoolique, le moût reste trouble.

Pour améliorer la défécation, il faut brasser des pommes mûres, bénéficier d’une température basse (8 à 10°) et ne pas mettre plus de deux jours pour remplir le fût. Le brassage par temps froid (novembre, décembre...) donne un moût qui s’épure mieux. Certains éléments, comme le sel de cuisine, améliorent la défécation. De nos jours, on utilise une enzyme pectinostérase (7 ml/hI) et du chlorure de calcium (90 mg/hI) à mettre avant le remplissage du fût.

Il est préférable que la défécation se fasse en cuve ouverte pour éviter que le « chapeau brun », débordant par la bonde, coule sur les parois du tonneau et le souille.

Le soutirage

Huit à dix jours après l’entonnage, le moût s’est clarifié, le jus clair doit être séparé des lies et du « chapeau brun », c’est le soutirage. Ce transvasement dans un fût propre venant d’être « méché » (soufré), doit s’effectuer à l’abri de l’air (l’oxydation du cidre provoque une fermentation rapide) et à l’aide d’une pompe à débit lent, ou tout simplement avec un siphon (tuyau d’aspiration en caoutchouc).

Tous les fabricants ne soutiraient pas. Après avoir enlevé la mousse sur le « chapeau brun », ils faisaient le moût fermenter entre lies lie et « chapeau brun ». Ceci n’est pas recommandé, on obtient ainsi un « failli cidre », de moins bonne qualité. Il est faux de dire que la « lie nourrit le cidre », elle le déprécie plutôt.

Le soutirage doit s’effectuer par haute pression barométrique. Lorsque la pression est haute, par temps clair, beau et froid, de préférence par un beau ciel étoilé d’hiver, les impuretés en suspension dans le moût se déposent mieux. A l’inverse, lorsque la pression atmosphérique est basse, elles restent en suspension dans le liquide le moût est trouble et le soutirage n’aura que peu d’effet.

Lors du soutirage, le moût ne doit pas être agité, ni tomber dans le fond du fût en pluie, ce qui l’aérerait et lui serait néfaste. L’air provoque une oxydation du cidre et entraîne une fermentation plus rapide.

La fermentation

Quelques jours après le soutirage, commence la fermentation ; des bulles de gaz montent à la surface, le cidre « bout ». Le sucre contenu dans le moût, sous l’action de levures, se transforme en alcool et en gaz carbonique. Pour obtenir un cidre de qualité, il faut rechercher une fermentation longue, deux mois. On y parvient par une température basse dans le cellier (100), plus facile à obtenir quand la fermentation coïncide avec la période hivernale, et en soutirant.

Le soutirage, en éliminant une partie des levures contenues dans le moût, ralentit également la fermentation. Deux soutirages peuvent être nécessaires. Pendant toute la fermentation, les fûts doivent rester pleins. Ils sont complétés régulièrement avec du cidre sain, ou de l’eau propre, c’est ce qu’on appelle « l’ouillage ».

Le cidre consommé dans les fermes était du cidre entièrement fermenté, aussi alcoolique que possible. Il est dit « cuit », ou « sec », tout le sucre était transformé en alcool. Le cidre doux, sucré, était rejeté comme étant du cidre « de bonne femme » ! Il était accusé de tous les maux couper la force du travailleur, provoquer des dérangements intestinaux...

Lorsqu’on avait rapidement besoin de cidre, principalement pour faire la soudure avec le « cidre de garde », pour accélérer la fermentation du moût, on mélangeait aux pommes à cidre, des poires à poiré, le jus de poire fermente très vite.

La conservation du cidre

Avant 1950, le cidre était la boisson de tous les jours dans les fermes, il était conservé en fûts bien bondés dans le cellier. Il en était très peu mis en bouteilles ; le cidre bouché était réservé pour les grandes occasions. Les fermes étaient jugées par la qualité de leur cidre, certains en avaient du très bon, très agréable à boire, néanmoins, d’autres avaient un cidre franchement imbuvable on devait quasiment « se tenir à table » pour le boire. Inutile de dire qu’on n’en redemandait pas !

Pour que le cidre se conserve bien et longtemps, il faut que le cellier reste frais, été comme hiver (de 4 à 10°), qu’il soit convenablement aéré, qu’il ait une bonne hygrométrie, sans humidité superflue qui risque d’attaquer les fûts et leurs cercles. Le cellier est souvent situé au nord des autres bâtiments, ou à moitié enterré. Les murs, le plafond, sont isolés et sains (blanchis à la chaux). La porte est orientée au nord et le sol est en terre battue.

Certains cidriculteurs, pour garder frais leur cellier, lorsque les chaleurs du printemps et de l’été arrivaient, se relevaient la nuit et ouvraient sa porte pour faire entrer la fraîcheur. Elle était ensuite refermée dans la matinée.

Le cellier doit servir uniquement à conserver le cidre, pas d’oignons.. qui pourraient communiquer un goût au cidre. Pour mettre le fût en perce, une « cannelle » ou clé, ou encore « chantepleure », est placée sur le « bondon », une bonde située en bas du fût. A l’aide d’un maillet ou d’une batte à débonder, on frappe d’un coup sec sur la « cannelle » qui chasse le « bondon » et prend sa place. Avec de l’habitude, aucune goutte de cidre n’est perdue. Malgré tout, le novice fait souvent gicler le cidre sur le sol ! Un fût « mis en perce » ne doit pas rester plus d’un mois à un mois et demi en vidange, sinon le cidre s’abîme, il durcit.

Le cellier était un endroit fort prisé. Toutes les occasions étaient bonnes pour se rendre « au cul du tonneau » et « faire pleurer la chantepleure ». Il y avait toujours sur le fût, en permanence, une unique bolée que, par tradition, on ne lavait jamais et qui allait de mains en mains, convivialité oblige, et peu importait le nombre des heureux élus à la dégustation. Heureuse époque où le cidre, encore sur le devant de la scène, tenait une place importante dans notre vie de tous les jours, boisson saine et agréable lorsque, bien sûr, elle était consommée avec modération...

Jean-François AUBERT